Le loup qui voulait être seul
C'est un petit village, avec tout ce qu'il faut de petit village. Un café brasserie avec une terrasse, des habitués, un petit marché et tout ça bien arrangé autour d'un manège.
En dessous de ce manège se trouve un local de maintenance, accessible via une porte dérobée et un escalier en colimaçon. Un loup y vit. Il assure l'entretien du manège, nettoie la place tous les soirs quand les gens sont couchés et prépare les étals les jours de marché.
Personne ne le connaît vraiment, personne ne sait comment il est arrivé là, je crois même que personne ne l'a jamais vu.
Jusqu'à moi en tout cas.
Un jour je suis descendu. La porte était ouverte, c'était très tôt le matin, je ne sais plus ce que je faisais dehors à cette heure-ci. Arrivé en bas, j'ai découvert un bureau bien décoré, une lumière orangée, un lit de camp avec une vieille télé cathodique.
Le locataire est arrivé quelques minutes plus tard.
Il m'a longtemps regardé, un sceau d'eau dans une main, la serpillère dans l'autre, avant de m'adresser la parole.
Il a fini par m'offrir un café, et on a pas mal discuté. J'ai appris plein de choses sur le village, un peu comme quand on rend visite à un grand-père, rien de très intéressant; il m'a dit aussi qu'il n'a aucun soucis avec les gens mais que ses expériences lui ont appris que les humains ne sont là que pour l'emmerder.
J'y suis retourné quelques fois dans la semaine, je trouvais ça agréable de partager un café avec quelqu'un avant d'aller en cours, aussi loup fût-il.
Je pense que des gens ont du me voir sortir de là parce qu'un soir deux collégiens sont descendus et ont forcé la porte. Ils voulaient absolument voir le loup, lui arracher les dents, en faire un collier, montrer à tout le monde dans leur classe que c'étaient des durs.
Ce soir là on a entendu un sifflement puissant dans tout le village; pas comme une alarme, plutôt comme quelqu'un qui aurait soufflé très fort dans une flûte. On a vu remonter un des deux en courant, affolé. Il ne savait pas où était passé son pote: la porte s'était refermée derrière lui, impossible d'y retourner.
Pendant plusieurs jours, les adultes ont essayé d'y aller mais la porte bloquait. Le jeune ne sortait plus de sa chambre et refusait de parler. Des mots ont été déposés devant la porte pour demander au loup de relâcher l'adolescent.
Le mercredi, aux aurores, je suis allé jeter un oeil. La porte était ouverte. J'ai avancé dans le couloir aux lumières orangées, passé sa cabine, rien ne semblait avoir changé. J'entendais un bruit de balais au bout, et le loup qui chantait.
En arrivant j'ai trouvé le jeune en tenue de soubrette, un balais en paille dans les mains en train de nettoyer et ranger tout le local; et le loup, allongé dans un hamac